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1 juin 2006

De princesse de magazine à la con, devenez Pouf! Pouf! Pouf! grenouille...

Je parlais hier à un ami de cette société du prêt-à-jeter qui me fait tellement horreur... des relations amoureuses... de la pornographie... de tout ce qui consomme, et qui se jette aussitôt... Et j'ai repensé tout d'un coup à un de mes livres préférés. Voici le dernier chapitre de "Mes petites magies", de Marie Laforêt.

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"Voilà. Vous savez presque tout de mes petites magies.

Il ne vous reste plus que l'essentiel à faire : devenir jeune. Parce que, s'il n'y a que des vieux au paradis, j'aime mieux changer de direction. Battre mon chien (enfin!), voler les pauvre ou, pire encore, me mettre à mentir. Pour aller m'amuser en enfer.

Mais nous n'en sommes pas encore là.

Cependant, il sera question de vie ou de mort. De pulsion de vie ou de pulsion de mort.

Donc commençons par le début, le tout début : l'enfance.

Cet acte d'enfance que nous avons tous ommis, même et surtout les plus défavorisés d'entre nous, quel est-il?

De quel sortilège nous était donc venue cette faculté d'émerveillement?... Je ne parle pas d'innocence. L'innocence est un mot d'adulte, définition vague dont on gratifie ceux qui n'ont pas dérogé à la loi. Bénédiction juridique en quelque sorte, qui n'a, à mon sens, pas grand-chose à voir avec ce goût carnassier, féroce, gourmand des enfants pour le merveilleux.

Le merveilleux?... Ne serait-ce pas un besoin presque soixante-huitard de changer l'ordre des choses?... La volonté, contre le plus simple bon sens, l'évidence, n'est-ce pas la soif impérative d'un réel enchanté?... Enchanté mais obéissant cependant à des règles strictes bien que lunaires, cocasses, paradoxales ; cruelles même.

L'enfance, c'est la science innée du par-delà.

L'expérience, l'éducation, la "vie" comme on dit, s'acharneront à nous amputer de ce que nous savions d'instinct. Dès la naissance, on nous sèvre de notre imaginaire, on nous distille la peur - du ridicule, du prochain, de l'avenir, de l'inconnu, du mauvais goût, de souffrir et surtout de la mort -, on nous encourage à devenir vieux, de renoncements en compromissions. De désillusions d'images virtuelles en désamours, de là en terreurs puis en renoncements. Roue sans fin.

Comme des bécassines affolées, nous partons en tous sens, en vols aigus, triangulaires, pour échapper au pire. Sans avoir pris la peine de nous retourner pour juger de l'apparence de l'ennemi, en déduire sa rapidité, sa force et sa cruauté.

Or le pire, tout comme le meilleur, n'existe pas. Ce ne sont que des superlatifs de langage, ce langage moqueur qu'on nous encourage à parler le plus tôt possible avec le satisfecit y afférent : c'est une preuve sociale de notre faculté d'intégrer, de coller, de fournir notre quote-part d'intelligence collective.

Il n'y a pas d'intelligence collective.

Soit on est Dieu, circonférence qui est partout, soit on est unique.

Unique. Dans la compréhension collective de ce mot, dans la confusion que le langage nous impose, de "unique" on nous oblige à dessiner le visage de la punition sociale suprême : solitaire, avec son cortège de rejet et de malédiction.

Et nous prenons collectivement, rassurés par la promiscuité, le train infernal des pulsions de mort : la peur, les peurs.

Mais ce train, qui, sinon nous-même, nous a forcé à le prendre? Mais qui, sinon nous-même, nous empêche d'en descendre, de prendre une autre correspondance, d'aller ailleurs, d'aller vers l'ailleurs improuvé, improbable?... De nous asseoir dans l'herbe?...

C'est ce que j'ai fait : je suis descendue et je me suis assise dans l'herbe. Et j'ai su que même Einstein ne sera jamais aussi intelligent qu'un brin d'herbe.

Voilà : je vous propose de vous asseoir dans l'herbe des verts pâturages.

Je vous propose une véritable magie à réaliser vous-même, la première et la dernière : de princesse de magazine à la con, devenez Pouf! Pouf! Pouf!... grenouille.

***

Je me souviens, j'ai onze ans. Fin décembre à Paris. Ma mère me réveille en pleine nuit, me souffle "habille-toi!... chaudement!"

La vitre du taxi, embuée, me renvoie l'image ponctuée de brillances floues des lumières d'une ville que je ne connais pas : le Paris architectural de la nuit. Il est trois heures. Devant l'étincellement de verre des anciennes halles de Baltard, le taxi s'arrête. Ma mère éclate d'un rire enfantin : "Viens voir!... et surtout, regarde tout!"

Nous étions dans la nuit du 23 ou 24 décembre ; la fête de Noël avait déjà commencé, avec ses guirlandes, ses victuailles : coquillages dégouttant la dernière marée sur le sol gluant d'algues, charrettes de fruits exotiques, sexuels, qu'on découvrait à peine dans ces années cinquantes, montagnes de châtaignes vernies, et des plumes, des plumes à perte de vue dans une perspective hallucinée, accrochées par grappes comme une sauvage vendange. Plumes mordorées des faisans, plumes poudrées des pintades, blancheur, duvet des oies, chapons écarlates. Spectacle d'une incroyable cruauté, massacres de sangliers entiers, ouverts, éclatés comme des grenades mûres. Quartiers de boeuf trimballés à l'épaule sur des tabliers sanglants comme des charpies de guerres, foule de cris éclaboussants, lumières folles. Effroi, victoires et victimes mêlés. Clochards fouillant les détritus. Joie. Urgente joie. Amour et souffrance.

Le chaos.

La vie. L'éternelle vie.

Puissante, ruisselante, têtue. Immonde et belle. Royale. (note)

***

De ce souvenir d'enfance dont ma mère, où qu'elle soit, ne sera jamais assez remerciée, j'ai retiré une image exemplaire. Contre mon vouloir, contre mon bon goût bourgeois, ma sensibilité, ma sentimentalité puritaines, cette image - ou plutôt son contenu charnel - est toujours restée présente, n'entrouvrant que par instants son corsage de mère nourricière, de pute, retenant le lait de son message dérangeant. Sans doute attendait-elle que j'aie très faim pour me donner ses seins?... Ou peut-être attendait-elle que j'aie fini de poser sur la table de nuit l'argent douloureux qu'on doit payer avant de posséder la pute qu'elle est?

Cette image, inconsciemment d'abord, puis avec l'âge de plus en plus insistante, présente, court frisson de l'âme à son ressouvenir, j'ai commencé à comprendre que tout ce qui ne procédait pas d'elle, de cette effroyable image, tout, hors d'elle, était putride : l'argent, l'ascension sociale, la politique, le savoir, le bon jugement, toutes les foutaises que l'on s'ingénie soi-même à mettre en ordre, à défendre, à récolter pour servir notre paraître. Nous empêchant d'atteindre la simplicité originelle des enchantements sans laquelle la beauté, la vraie, celle dont on ne saurait dire qu'elle soit intérieure ou extérieure - à qui?... à quoi?... -, la vôtre ou la mienne de beauté, deviendrait masque funèbre.

***

J'ai donc un jour pris la décision de réapprendre à m'émerveiller.

J'ai éteint définitivement la télévision. J'ai simplement enlevé une prise. J'ai coupé le courant continu de cette vie qui vivait à ma place, pensait, jugeait, s'émerveillait à ma place. Qui votait à ma place. Qui me fournissait virtuellement chaque jour mon quota de victimes, comme dans les antiques jeux du cirque, pour détourner de moi, par ce sacrifice païen d'inconnus, d'innocents, ce qu'elle nous affirme être le mauvais sort. Qui me faisait aimer, - virtuellement, à ma place - des conneries. Qui, chaque jour, me conseillait de dépenser plus et mieux. Parce que je le valais bien...

J'ai planté des rosiers.

Je me suis mise à manger seulement quand j'avais faim : à mon grand étonnement, contre l'avis de tous les magazines, de tous les nutritionnistes, une seule fois par jour.

Je devenais simple, je me foutais d'être belle : je le devenais, me contentant de réfléchir la simple beauté du monde alentour.

Parce que, et c'est tout un art, pour que la beauté soit belle, il faut la mettre en lumière. La seule lumière possible, c'est celle de votre regard qui s'étonne, accueille, s'émerveille des autres et de la vie. C'est celle de votre regard qui aime.

L'amour c'est comme l'alphabet : ça s'apprend avec application de A à Z.

La peur, la haine se refusent. Comme une bête malfaisante qu'on repère, qu'on traque. Qu'on tue. C'est elle ou vous. Rendez-lui sans faiblir les honneurs en lui fermant les yeux, glissant dans sa bouche une brisée de noisetier. Mais tuez-la en vous.

On ne joue pas avec ce choix, on ne peut pas faire semblant : on choisit l'amour et la vie ou on choisit la peur et la mort.

Même quand vous aurez cent ans, que vous ressemblerez à une pomme au four, si vous avez choisi l'amour dans le coeur, même un coeur de grenouille, choisi la vie, même la vie d'une grenouille, vous continuerez d'être belle à tomber par terre.

Il faut parfois un temps fou pour comprendre ces choses...

Note :

Il m'a fallu du temps pour comprendre ce que Marie Laforêt a voulu dire. Au début, je ne trouvais pas sa description sanglante franchement merveilleuse.
Malgré ma révolte, j'avais encore dans les yeux des images trop propres, trop blanches, trop pures. Pourtant la vie est noire, la vie est rouge.
J'avais oublié mon expérience personnelle que je ne peux m'empêcher d'invoquer lorsque je parle notamment de mon choix concernant le végétarisme. Moi, c'est mon père que je remercierai toute ma vie. Parce que papa est chasseur à l'arc, dans un total respect de la Nature, ce respect et cette union que je n'ai encore jamais rencontré chez personne d'autre... Parce que j'ai vécu en toute connaissance de la vie, la vraie, de la mort, la vraie. Parce que pour moi, manger de la viande ne signifie pas acheter des paquets surgelés dans un supermarché. La viande, c'est le sang, c'est la mort, c'est aussi cette vie bruyante et puissante.
Je ne suis pas de ces végétariennes stupides et superficielles qui ne mangent pas de viande parce que ça fait bobo aux animaux, et qui jouent les poupées avec leurs cosmétiques pleins de produits chimiques et testés au moins cent fois sur animaux, qui sont végétariennes parce que c'est à la mode et qui mangent des crustacés, encore bien...
Je crois que mon père m'a appris une des choses les plus importantes que j'aie jamais appris : la valeur de la vie, et celle de la mort.
La seule cruauté, c'est celle de l'hypocrisie de notre société...

goddess1
("Goddess of Passage", by Laura Pelick)

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Commentaires
S
Merci de ce partage Pluie, ça donne envie d'acheter le bouquin ;)<br /> Tout ce texte, celui de l'auteure et le tien, reflètent aussi très bien ma pensée. Je ne suis pas végétarienne, je suis un chat, donc j'aime le lait et la viande crue, m'enfin maintenant c'est du caoutchouc ce qu'on trouve...<br /> La spiritualité, c'est pas l'élévation/illumination qui nous mène vers le haut, le blanc, l'épuré. C'est la voie de la Terre, "dreaming the dark" (starhawk), de l'obscur, du naturel, du vrai, des racines...
V
Moi aussi c'est un livre de chevêt et j'ai retrouvé dans tes messages ses recettes pour un bain fabuleux...ce livre est à mettre entre toutes les mains féminines. Je l'ai d'ailleurs offert à toutes les femmes de ma famille.
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